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Couverture du livre La Métaphysique du Mou de Jean-Baptiste Botul - Éditions Mille et une nuitLa Métaphysique du Mou

Jean-Baptiste Botul
Jacques Gaillard (Éditeur scientifique)

Éditeur: Mille et une nuits (2007)

En 1938, considérant que la philosophie des ”choses mêmes” ne s’est pas assez intéressée aux choses molles, Botul crée et explore le concept de mouïté. Il en tire des idées étonnantes, qui bouleversent la phénoménologie ambiante, sur l’Etre, le néant, la charcuterie, le fromage, les seins des femmes, le transport des valises et les années trente.

 

 

 


 

 

 

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L'art du mou selon Botul, des bouts rien que des bouts

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Logo du Monde des livresLe Monde des livres - 6 Juillet 2007

 

Enclume, camembert et valise à roulettes

 

Aux nuages et autres ensembles flous; la philosophie préfère les enclumes. Pas pour leur masse ni pour leur fonction. Plutôt pour leur dureté, leurs contours nets. Car la métaphysique, en Occident, n'aime guère le mou. Elle privilégie ce qui est dense, fortement ramassé sur soi. Ce qui tremblote et s'épanche est suspect. Echappant à toute ferme emprise, les denrées molles se trouvent exclues de la réflexion. Par exemple le camembert, qui change au fil du temps et de texture et de forme, passant du plâtreux au coulant, du circulaire à l'avachi, est une sorte de cauchemar pour l'ontologie. Ainsi parlait Botul.
Jean- Baptiste Botul (1896-1947) voit dans cet oubli du mou une situation grave. Il note en effet que tout ce qui vit se trouve, à de rares exceptions près, du côté du mou: «les viscères, les yeux, le cerveau, les poumons, les couilles». La remarque figure dans une des liasses posthumes retrouvées, il y a quelques années, dit-on, dans sa maison natale de Lairière (Aude). Certaines d'entre elles sont aujourd'hui éditées par Jacques Gaillard. Dans ces documents, on peut suivre le projet botulien d'élaboration d'une métaphysique centrée sur le «mouité», permettant de distinguer notamment le flan, le tripotable et le flexible. On eût aimé que Botul distinguât mouité, mollitude et molleté, mais nul n'est parfait.
En lisant ces notes, on se dit qu'il n'est pas impossible que Botul, auteur secret mais plus influent qu'on ne croit, ait été pillé par Dali avec ses montres molles, ou même par Pierre Dac. L'humoriste avait fondé, après la seconde guerre mondiale, le MOU (Mouvement ondulatoire unifié), dont le mot d'ordre radical était: «Pour tout ce qui est contre, contre tout ce qui est pour.» Toutefois, en découvrant, dans la liasse 30, la formule: «la valise à roulettes est une utopie», on mesure à quel point Botul fut un visionnaire et un esprit en avance sur son temps. Cette mutation qu'il appelait de ses vœux, il suffit aujourd'hui d'un quai de gare ou d'un terminal d'aéroport pour se convaincre qu'elle a conquis le monde.
Botul, en vérité, n'a jamais existé. Philosophe imaginaire, auteur canular, il habite le pays de la supercherie et du doux délire. Mieux vaut le souligner. Cela évite des malentendus aussi pénibles qu'inutiles. En outre, cette mise au point accroît avantageusement le trouble que suscite son œuvre. Ce penseur fictif est un garçon prolifique! Voilà déjà le quatrième de ses ouvrages posthumes, publié par les soins d'une association de ses amis. Car Botul est un être collectif, comme le fut naguère Bourbaki, dans le domaine des mathématiques. Dans cette amicale péri-pataphysique, Frédéric Pagès a tenu un rôle pionnier. Une des premières tâches des Amis de Jean-Baptiste Botul fut de préciser sa biographie.
Né le 15 août 1896 à Lairière (Aude), le jeune Jean-Baptiste s'exile en Argentine en 1914 pour échapper à la mobilisation. Il y pratique plusieurs métiers, dont chauffeur de taxi, et invente la «taxianalyse». En 1917, il aurai rencontré Trotski à l'occasion d'une mission énigmatique sur l'îlot Clipperton, caillou français au large du Mexique. On prête également à Botul quelques brèves liaisons, parfois controversées, notamment avec Marie Bonaparte (1920), Lou-Andréas Salomé (1923), Simone de Beauvoir (1936).
Il est vrai qu'à partir de 1932 Botul exerce le rare métier de nègre pour philosophe. Sans rien publier lui-même, il rédige les thèses de plusieurs universitaires en vue. A la Libération, il s'oppose aux analyses de Heidegger, «sophiste pervers déguisé en paysan tyrolien» et finit par entreprendre un voyage au Paraguay. Il y prononce les fameuses Conférences sur la vie sexuelle d'Emmanuel Kant, précédemment éditées d'après les notes d'un auditeur. Car Botul, croyait -on, s'était toujours refusé à écrire.
On sait aujourd'hui que ce n'est pas le cas, après la découverte, dans l'armoire principale de la maison natale du philosophe, où il mourut le 15 août 1947, de 143 liasses. Leur publication intégrale risque de réserver des surprises. La plus curieuse? Ce trouble particulier qui naît du mélange systématique de la réalité et de la fiction. Ce faux philosophe, censé fréquenter les vrais, s'immisce entre les photos jaunies, insiste pour s'installer, finit par s'intégrer au décor.
Rêvons. Dans quelques générations, des historiens intègres pourraient bien s'acharner à établir que la thèse du canular était en fait une imposture. Leur argument? Bien que peu de preuves de l'existence de Botul soient disponibles, il demeure invraisemblable que la valise à roulettes ait pu apparaître sans un inventeur.
Le botulisme est un onirisme.

Roger-Pol Droit

Métaphysique du mou Jean- Baptiste Botul
Edité et présenté par Jacques Gaillard - Mille et une nuits,«Petite collection»